Notre voisin est bien malade ABC Espagne

Après le 21 avril 2002, le raz de marée du non. Mais de quel mal souffre donc cette France qui choisit si souvent de se pencher au bord du précipice ? s’inquiète le principal quotidien conservateur espagnol.

En ce début de XXIe siècle, l’Europe a de nouveau un malade en son sein. Cette fois, c’est la France, et non plus la Turquie ottomane du XIXe siècle. Ceux qui, par snobisme et ignorance historique, ont voulu voir en la France l’un des ventricules du cœur supposé de l’Europe auraient dû être un peu plus discrets et un peu plus prudents dans leurs affirmations, et surtout dans leurs engagements. Ce prétendu cœur était déjà bien malade, et la victoire écrasante du non l’a frappé d’infarctus. Le résultat des urnes prouve de façon criante l’échec d’un modèle reposant sur l’interventionnisme, le centralisme à outrance et des structures administratives rigides et ankylosées.

La classe politique française vient une nouvelle fois de donner le pire d’elle-même. Reste à présent à savoir comment aborder l’avenir immédiat de l’Europe, avec une France placée en unité de soins intensifs et une Allemagne à la veille d’élections législatives qui verront presque à coup sûr une victoire éclatante des chrétiens-démocrates sur le chancelier Schröder, modifiant ainsi les lignes d’action qui régissaient jusqu’à présent l’axe franco-allemand. Un des pays centraux du projet européen vient de faire trébucher la Constitution européenne alors qu’elle entamait son parcours de ratification dans les différents pays de l’UE. N’ayons pas peur des mots : sans la France, le Traité constitutionnel est blessé à mort. Surtout s’il n’y a pas de plan B – comme l’a laissé entendre le ministre des Affaires étrangères français, Michel Barnier – et si, comme l’indiquaient les sondages [à l’heure où nous mettions sous presse], un autre des pays fondateurs du vieux Marché commun, les Pays-Bas, vient à voter non le 1er juin.

La responsabilité du président Chirac et de son Premier ministre Raffarin est évidente. La politique de l’autruche qu’ils pratiquent depuis que leurs projets de réforme ont échoué sous la pression des syndicats et de la gauche s’est révélée une nouvelle fois un échec. Sans autorité réelle, sans projets, mû par un narcissisme présidentiel évident, Chirac vient d’essuyer une défaite personnelle, qui éloigne définitivement la possibilité d’un troisième mandat. Il paie à nouveau le prix de tous ses bras de fer perdus contre la partie la plus obstinément étatiste et bureaucratique de l’opinion publique. Les sommets de popularité qu’il avait atteints durant la guerre en Irak ne lui ont servi à rien cette fois. De fait, l’incompréhensible inaction et la politique économique et sociale erratique du tandem Chirac-Raffarin ont fait monter la pression tant et si bien qu’elles ont rendu possible l’alliance de la droite la plus chauvine et la plus nationaliste avec les secteurs les plus sclérosés et les plus rétrogrades de la gauche pour créer un front antieuropéen, un front dont la transversalité montre que la France est beaucoup plus malade encore d’interventionnisme que certains ne le disaient depuis quelques années.

Lors de la dernière présidentielle, la France avait déjà donné des frayeurs à ses partenaires en hissant Le Pen au second tour. Aujourd’hui, avec l’inquiétante ampleur du non, notre voisin du nord redevient un problème. Il est temps de se demander de quel mal souffre un pays qui décide si souvent de se pencher au bord du précipice. D’autant que, ce faisant, il nous oblige à partager ses tensions et ses fractures internes. La France est incontestablement malade, et ce diagnostic devrait servir d’avertissement à José Luis Rodríguez Zapatero. Le choix qu’il a fait de se ranger résolument du côté de l’axe franco-allemand et de s’attirer les bonnes grâces de ce dernier en avançant la ratification du Traité constitutionnel [les Espagnols l’ont ratifié par référendum dès le 20 février] met le gouvernement socialiste et l’engagement européen de notre pays en très mauvaise posture.